Un paysan russe, le moujik Pakhom, vivait sur ses terres. Le seul malheur, disait-il, c’est d’en avoir trop peu. Si j’avais de la terre à volonté, je n’aurais peur de personne. Un voisin vint à mourir. Il voulut acheter sa terre. Il paya la moitié comptant; quant au reste, il s’engageait à le payer en deux ans. Ainsi vivait Pakhom dans le bonheur.
Mais voici qu’un marchand vint à passer et lui dit :
– Pour mille roubles, chez les Baschkirs, nomades asiatiques, au-delà de l’Oural, j’ai eu de la terre à n’en pouvoir faire le tour en marchant pendant tout un jour.
Pakhom vendit sa terre et sa maison et partit, accompagné de son domestique. Il arriva chez les Baschkirs, leur paya à boire et leur donna des présents. Il s’entendit avec eux.
– Notre prix est unique, lui dirent-ils. Mille roubles pour une journée.
– Mais, dit Pakhom, on peut, en une journée, faire le tour de beaucoup de terres.
– Oui, dirent-ils, tout sera à toi. Tu choisiras la part qui te convient le mieux.
Les yeux de Pakhom étincelèrent. Toute la terre était riche et grasse.
On fit coucher Pakhom sur un matelas de plumes. Le lendemain dès l’aube, il se leva. Les Baschkirs l’attendaient sur la colline :
– Va, mais reviens assez tôt car si le soleil est couché, tu perdras tes mille roubles et tu n’auras rien.
Le moujik partit d’un pas régulier, parcourut une verste (ancienne mesure russe qui équivaut à 1067 mètres), posa un jalon puis accéléra la marche.
Vers midi, il ôta son habit et déjeuna rapidement. Puis il pensa : il faut retourner maintenant. Il marcha, il marcha. L’herbe était haute et il faisait chaud. Pakhom commençait à se fatiguer. Il s’arrêta un moment. Puis il repartit. Une heure à souffrir, pensait-il, mais un siècle à bien vivre ! Il allait tourner à gauche lorsqu’il aperçut un frais vallon. C’est dommage, pensa-t-il, de le laisser de côté, et il engloba le vallon.
Puis il regarda le soleil. Il était proche de son déclin, et les gens sur la colline se distinguaient à peine. Pakhom aurait voulu se reposer, mais le soleil n’attend pas. Il se met à courir. Ses pieds sont écorchés jusqu’au sang. Le voici au pied de la colline. Elle est déjà dans l’ombre. Mais les Baschkirs lui crient: Cours, cours ! Ici le soleil n’est pas couché ! Il reprend haleine, court encore et tombe exténué en touchant le piquet d’arrivée.
– Bravo ! crient les Baschkirs. Tu as gagné beaucoup de terre !
Son domestique accourt. Il veut le soulever, mais le sang coule de sa bouche. Il est mort. Le domestique resta seul. Il creusa pour Pakhom une fosse de trois archines (2,10 mètres) et il l’enterra.
Adapté d’un conte de Léon Tolstoï (écrivain russe 1828-1910) : « À la recherche du bonheur: Le moujik Pakhom »
Version PDF simplifiée du « Moujik Pakhom »
Version complète du conte de Tolstoï
Version AUDIO contée par Charles Brulhart: